220253

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/02/2009

Grrrrr ! ! ! !

images.jpeg Les adolescents ont un défaut majeur : leurs pieds  grandissent et doivent régulièrement être chaussés d'une nouvelle paire de…baskets ! Car entre 12 et 30 ans il est impossible de porter autre chose. Chez les filles la basket s'arrête bien avant trente ans. Heureusement pour le prince charmant. Imaginez le prince de Cendrillon ramassant au bas des escaliers une basket en vair ou en verre, c'est selon. Il serait peut-être encore en train de contempler la-dite basket en se demandant à quoi elle est censée servir. 

Mais mon ado est un garçon et ne rêve pas à son premier bal. Son désir est d'être dans le coup, et être dans le coup, ça a un coût ! Nous voici donc partis en quête de LA PAIRE DE BASKETS dont il me parle depuis des semaines et que le magasin du coin n'a toujours pas reçue. "D'ici trois jours … Repassez… C'est dommage il me manque justement sa pointure. "

Nous affrontons le vent et le froid et atterrissons dans une boutique qui offre un large choix de baskets. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les marques. Mais, ô rage ô désespoir, la paire tant convoitée n'existe plus dans sa pointure. Le vendeur, tout sourire, enthousiaste encore puisque nous sommes venus à l'ouverture, va chercher d'autres modèles, suggère, conseille. Mon porte-monnaie consent à se faire un peu plus généreux. Rien à faire ! La seule paire qui aurait pu convenir est déjà portée par un garçon de sa classe qui se trouve être la tête de Turc de certains de ses cruels condisciples. J'y reviendrai d'ailleurs. 

Or, mon ado a besoin de baskets,  ses gros orteils cherchant désespérément à se mettre à l'aise. Nous sommes en plein conflit cornélien : prendre un modèle "bof" et avoir chaud aux pieds, ou résister à la bofitude et aller pieds nus. Dilemme qui ne semble pas atteindre les neurones de mon adorable ado, mais qui provoque chez moi une montée fulgurante de moutarde au nez. Nous poussons malgré tout la porte d'une autre boutique où les prix atteignent des sommets que mon porte-monnaie refuse d'envisager. Cent euros pour une basket en tissu qui sera avachie en moins de deux, pas question ! Grrr ! ! ! Nous rentrons donc en nous faisant plus ou moins la tête, le cœur en bandoulière. 

Mais, comme je suis une mère compatissante, quelques tours de roue plus tard, je propose à mon ado de repasser au magasin près de chez nous pour vérifier si, par hasard, il n'y aurait pas un modèle qu'il n'aurait pas vu. Et là, le miracle se produit ! Posée sur son présentoir transparent nous attend une basket blanche, en cuir, élégante au point que je l'achèterais volontiers, et à vingt euros de moins que celle qu'il convoitait. Nous ressortons de la boutique réconciliés et prêt à aimer le monde entier.

La prochaine fois, je laisserai son père affronter l'épreuve. 

20/02/2009

Un rire léger comme un duvet d'oisillon (II)

L'impatience la réveilla aux premiers balbutiements de l'aube. Dehors les oiseaux commençaient à s'agiter. L'air était frais. Elle le huma par la fenêtre ouverte, s'en grisa pour en conserver le souvenir le jour où le bitume fondrait sous les rayons du soleil. Elle se sentait déliée, fluide, excitée comme une jeune fille partant à son premier rendez-vous. Dans la glace, sa peau lui parut moins ridée. Dans son regard frémissait la petite lumière de ses vingt ans. Elle vibrait, tel un vieil arbre quand tout à coup monte en lui la sève printanière. 

Dans l'armoire de noyer elle choisit une robe, avec infiniment de précautions. La mauve lui aurait donné l'air d'un évêque, la rayée noir et blanc était trop sévère. Celle à pois bleu marine se révéla idéale pur un jour de marché. Elle prit dans le débarras son panier d'osier, le nettoya d'un coup de plumeau puis sortit. 

La rue s'offrit à elle sous les premières caresses du soleil. Des siècles s'étaient écoulés depuis sa dernière sortie. Toutes et tous avaient vieilli, mais elle, avait rajeuni.  Malgré sa canne elle se sentait forte, assurée, vivante ! Quand elle atteignit la place du marché, elle eut un petit rire, un chucotement de gaîté. Les marchands avaient installé leurs étals. Odeurs et couleurs se précipitèrent à sa rencontre. Emmée entendit le brouhaha des voix, les cris des vendeurs, des aboiements. Elle avança, l'oreille à l'affût. Ses pas se laissaient guider  par les éclats de rire qui naissaient çà et là avant de se perdre entre deux éventaires. 

Comme un animal aux aguets, elle cherchait, et tous ses sens étaient en alerte, tendus vers la rencontre. 

Et, soudain, le rire explosa, magique, insolent et terriblement tendre. Il chantait la beauté du jour, le ciel bleu de la Provence. Il jonglait avec ses éclats multicolores. Emmée sentit des picotements sur ses joues. Durant un instant elle n'entendit plus que la charge de son cœur. Puis, elle se dirigea vers un étal de fleurs. Un enfant s'y tenait, roux comme un érable en automne, jeune, si jeune, six ans peut-être. Il s'amusait des plaisanteries d'une marchande. Emmée marqua un temps d'arrêt. Son esprit entama  une bataille féroce où s'entrechoquaient dans un vacarme assourdissant des idées contradictoires. Des tambours résonnaient à ses tempes, son cœur cognait avec démesure. Tout à coup, une chaleur suffocante, des bourdonnements, l'isolèrent du marché. Le sol se mit à fuir sous ses pas. Dans un tintamare de pots brisés et d'exclamations elle fut précipitée à terre, inconsciente. 

Lorsqu'elle revint à elle, des visages la scrutaient avec  une inquiétude intense. L'enfant roux était là, étonné par cette si vieille mamie tombée tel un fruit mûr, et l'observait avec gravité. Emmée posa son regard sur lui : " Tu as un bien beau rire, murmura-t-elle. Je l'ai cherché longtemps. "

Personne ne comprit. Le jeune garçon lui sourit. Ce sourire avait la fraîcheur de bulles de savon qui s'envolent pour disparaître en un ultime baiser. Emmée eut le sentiment qu'elle touchait au but. Elle sut qu'il était inutile de demeurer davantage. Elle glissa, sans heurt, dans le brouillard de l'inconscience et avec joie franchit le passage incontournable. Aujourd'hui était jour de fête. Elle partait. L'enfant au rire flamboyant lui avait fait franchir la dernière porte. 

19/02/2009

Un rire léger comme un duvet d'oisillon (I)

C'était l'été. L'heure où, derrière les volets mi-clos, les enfants font la sieste et où la chaleur tapisse les murs brûlants des ruelles. Un rire craquela le silence, léger comme un duvet d'oisillon, coloré comme un champ de coquelicots. Il claqua soudain sur le bois des portes, éclaboussa les génoises des toits puis dévala la pente étroite de la venelle. Surpris, les pétunias redressèrent la tête, ravivèrent leur rose tyrien, tandis que les géraniums flamboyaient orgueilleusement. Emmée ouvrit alors la croisée pour saisir au vol le visage où ce rire prenait sa source. 

Á vrai dire, elle s'ennuyait. Elle n'était plus qu'une vieille femme aimant s'asseoir près de la fenêtre pour regarder la rue s'agiter. Toutes ces vies qui se croisent et se bousculent secouaient sa torpeur et brisaient un instant sa solitude.  Quand on est vieux, très vieux, on a parfois l'impression d'avoir été oublié dans une gare désaffectée. Les trains ne s'arrêtent plus, on attend en vain un signe des voyageurs qui défilent dans l'immobilité de leur siège. N'allez pas croire qu'Emmée était une mauvaise vieille qui se venge de sa peau ridée et de ses cheveux blancs en espionnant pour mieux détester. Non, elle n'en voulait à personne d'être fripée comme une prune desséchée. Elle avait eu sa part de bonheur et sa part de malheur. Mais je m'égare, et perds le fil de mon histoire.

Dans sa hâte de voir le visage auquel appartenait ce rire, Emmée avait fait retentir les volets sur la pierre, gifle qui réveilla la maison. Déjà le rire s'éloignait ainsi que son propriétaire, un jeune garçon dont la tignasse d'un roux magistral rivalisait avec l'aveuglante clarté du soleil. 

Emmée aurait voulu esquisser un geste, un sourire, lui laisser entendre qu'elle aimait son rire, mais l'enfant était loin. Elle referma la fenêtre et installa soigneusement au fond de sa mémoire, au creux de ses oreilles, la fraîcheur de ce rire jaillit de la canicule. Il prit place parmi les souvenirs heureux. Quelques jours passèrent, monotones et filandreux dans le silence et dans l'oubli. De temps à autre, Emmée extrayait le rire de sa mémoire et l'époussetait. Elle craignait que les heures ne le recouvrent d'un infime dépôt de poussière qui peu à peu l'étoufferait, puis  l'éteindrait définitivement. Elle le contemplait, l'écoutait de toute sa mémoire. Elle éprouvait la délicate sensation de déboucher un flacon de parfum. Les effluves des géraniums, l'odeur de la pierre brûlée par le soleil, les fragrances des pétunias s'envolaient dans son cœur en de joyeuses volutes. 

Le souvenir nourrissait son attente. Jour après jour, elle guettait le retour de l'enfant roux en qui elle voyait une incarnation de la joie. 

Pour ne pas l'effrayer lorsqu'ils se rencontreraient, elle prenait soin de coiffer ses cheveux en un savant chignon et choisissait dans l'armoire ses jolies robes depuis longtemps délaissées. 

Cependant, l'attente finit par se muer en une mort sournoise qui ressemblait fort à du désespoir.  Aussi Emmée décida-t-elle de retrouver elle-même celui qu'elle ne pouvait effacer.  En elle s'imposa la certitude que le lendemain, jour de marché, elle percevrait dans la foule le rire de l'enfant.