19/02/2009
Un rire léger comme un duvet d'oisillon (I)
C'était l'été. L'heure où, derrière les volets mi-clos, les enfants font la sieste et où la chaleur tapisse les murs brûlants des ruelles. Un rire craquela le silence, léger comme un duvet d'oisillon, coloré comme un champ de coquelicots. Il claqua soudain sur le bois des portes, éclaboussa les génoises des toits puis dévala la pente étroite de la venelle. Surpris, les pétunias redressèrent la tête, ravivèrent leur rose tyrien, tandis que les géraniums flamboyaient orgueilleusement. Emmée ouvrit alors la croisée pour saisir au vol le visage où ce rire prenait sa source.
Á vrai dire, elle s'ennuyait. Elle n'était plus qu'une vieille femme aimant s'asseoir près de la fenêtre pour regarder la rue s'agiter. Toutes ces vies qui se croisent et se bousculent secouaient sa torpeur et brisaient un instant sa solitude. Quand on est vieux, très vieux, on a parfois l'impression d'avoir été oublié dans une gare désaffectée. Les trains ne s'arrêtent plus, on attend en vain un signe des voyageurs qui défilent dans l'immobilité de leur siège. N'allez pas croire qu'Emmée était une mauvaise vieille qui se venge de sa peau ridée et de ses cheveux blancs en espionnant pour mieux détester. Non, elle n'en voulait à personne d'être fripée comme une prune desséchée. Elle avait eu sa part de bonheur et sa part de malheur. Mais je m'égare, et perds le fil de mon histoire.
Dans sa hâte de voir le visage auquel appartenait ce rire, Emmée avait fait retentir les volets sur la pierre, gifle qui réveilla la maison. Déjà le rire s'éloignait ainsi que son propriétaire, un jeune garçon dont la tignasse d'un roux magistral rivalisait avec l'aveuglante clarté du soleil.
Emmée aurait voulu esquisser un geste, un sourire, lui laisser entendre qu'elle aimait son rire, mais l'enfant était loin. Elle referma la fenêtre et installa soigneusement au fond de sa mémoire, au creux de ses oreilles, la fraîcheur de ce rire jaillit de la canicule. Il prit place parmi les souvenirs heureux. Quelques jours passèrent, monotones et filandreux dans le silence et dans l'oubli. De temps à autre, Emmée extrayait le rire de sa mémoire et l'époussetait. Elle craignait que les heures ne le recouvrent d'un infime dépôt de poussière qui peu à peu l'étoufferait, puis l'éteindrait définitivement. Elle le contemplait, l'écoutait de toute sa mémoire. Elle éprouvait la délicate sensation de déboucher un flacon de parfum. Les effluves des géraniums, l'odeur de la pierre brûlée par le soleil, les fragrances des pétunias s'envolaient dans son cœur en de joyeuses volutes.
Le souvenir nourrissait son attente. Jour après jour, elle guettait le retour de l'enfant roux en qui elle voyait une incarnation de la joie.
Pour ne pas l'effrayer lorsqu'ils se rencontreraient, elle prenait soin de coiffer ses cheveux en un savant chignon et choisissait dans l'armoire ses jolies robes depuis longtemps délaissées.
Cependant, l'attente finit par se muer en une mort sournoise qui ressemblait fort à du désespoir. Aussi Emmée décida-t-elle de retrouver elle-même celui qu'elle ne pouvait effacer. En elle s'imposa la certitude que le lendemain, jour de marché, elle percevrait dans la foule le rire de l'enfant.
09:55 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose...
Quelle bonne idée de donner cette nouvelle à lire ici, en plusieurs épisodes!
Quoi de mieux pour attiser la curiosité du lecteur et nourrir ses besoins d'évasion?
Surtout en cette période de froid, où une telle histoire vient réchauffer les coeurs!
Écrit par : Delph | 19/02/2009
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