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20/02/2009

Un rire léger comme un duvet d'oisillon (II)

L'impatience la réveilla aux premiers balbutiements de l'aube. Dehors les oiseaux commençaient à s'agiter. L'air était frais. Elle le huma par la fenêtre ouverte, s'en grisa pour en conserver le souvenir le jour où le bitume fondrait sous les rayons du soleil. Elle se sentait déliée, fluide, excitée comme une jeune fille partant à son premier rendez-vous. Dans la glace, sa peau lui parut moins ridée. Dans son regard frémissait la petite lumière de ses vingt ans. Elle vibrait, tel un vieil arbre quand tout à coup monte en lui la sève printanière. 

Dans l'armoire de noyer elle choisit une robe, avec infiniment de précautions. La mauve lui aurait donné l'air d'un évêque, la rayée noir et blanc était trop sévère. Celle à pois bleu marine se révéla idéale pur un jour de marché. Elle prit dans le débarras son panier d'osier, le nettoya d'un coup de plumeau puis sortit. 

La rue s'offrit à elle sous les premières caresses du soleil. Des siècles s'étaient écoulés depuis sa dernière sortie. Toutes et tous avaient vieilli, mais elle, avait rajeuni.  Malgré sa canne elle se sentait forte, assurée, vivante ! Quand elle atteignit la place du marché, elle eut un petit rire, un chucotement de gaîté. Les marchands avaient installé leurs étals. Odeurs et couleurs se précipitèrent à sa rencontre. Emmée entendit le brouhaha des voix, les cris des vendeurs, des aboiements. Elle avança, l'oreille à l'affût. Ses pas se laissaient guider  par les éclats de rire qui naissaient çà et là avant de se perdre entre deux éventaires. 

Comme un animal aux aguets, elle cherchait, et tous ses sens étaient en alerte, tendus vers la rencontre. 

Et, soudain, le rire explosa, magique, insolent et terriblement tendre. Il chantait la beauté du jour, le ciel bleu de la Provence. Il jonglait avec ses éclats multicolores. Emmée sentit des picotements sur ses joues. Durant un instant elle n'entendit plus que la charge de son cœur. Puis, elle se dirigea vers un étal de fleurs. Un enfant s'y tenait, roux comme un érable en automne, jeune, si jeune, six ans peut-être. Il s'amusait des plaisanteries d'une marchande. Emmée marqua un temps d'arrêt. Son esprit entama  une bataille féroce où s'entrechoquaient dans un vacarme assourdissant des idées contradictoires. Des tambours résonnaient à ses tempes, son cœur cognait avec démesure. Tout à coup, une chaleur suffocante, des bourdonnements, l'isolèrent du marché. Le sol se mit à fuir sous ses pas. Dans un tintamare de pots brisés et d'exclamations elle fut précipitée à terre, inconsciente. 

Lorsqu'elle revint à elle, des visages la scrutaient avec  une inquiétude intense. L'enfant roux était là, étonné par cette si vieille mamie tombée tel un fruit mûr, et l'observait avec gravité. Emmée posa son regard sur lui : " Tu as un bien beau rire, murmura-t-elle. Je l'ai cherché longtemps. "

Personne ne comprit. Le jeune garçon lui sourit. Ce sourire avait la fraîcheur de bulles de savon qui s'envolent pour disparaître en un ultime baiser. Emmée eut le sentiment qu'elle touchait au but. Elle sut qu'il était inutile de demeurer davantage. Elle glissa, sans heurt, dans le brouillard de l'inconscience et avec joie franchit le passage incontournable. Aujourd'hui était jour de fête. Elle partait. L'enfant au rire flamboyant lui avait fait franchir la dernière porte. 

Commentaires

Je ne me souvenais pas de la fin... Sombre et lumineux tout en même temps.
J'aime beaucoup*

Écrit par : Delph | 22/02/2009

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